Rome, 29 janvier <1858>.
Monsieur le directeur,
Plus le credit d'un journal est grand et merite, plus il doit tenir a ecarter tout ce qui, dans ses correspondances, peut induire le public en erreur sur l'etat veritable des esprits, dans un pays surtout qui, comme la Russie, est peu connu de la masse des lecteurs. Vous me permettrez donc, Monsieur, tant dans l'interet de la verite que dans celui, j'ose le dire, de votre propre journal, de rectifier quelques insinuations malveillantes a l'egard du parti soi-disant slave, qui se sont glissees dans la correspondance de Moscou inseree dans le No. du «Nord» du 22 janvier. Etranger a ce parti, et par mes idees et par ma carriere litteraire, je ne saurais pourtant admettre, avec votre correspondant, que c'est par un esprit d'opposition aux recentes et nobles aspirations du gouvernement que les personnes qui representent le parti slave se sont abstenues d'assister au banquet donne a Moscou le 9 janvier, en honneur de l'emancipation du travail, proclamee par l'Empereur. Personne n'ignore en Russie, que dans cette importante question, le gouvernement marche d'accord avec la pensee du pays entier. Aucune fraction litteraire ou politique ne saurait ni ne voudrait lui refuser son concours, quelque mince qu'en puisse etre l'importance. Les Slaves ne sont jamais restes etrangers au mouvement qui se prepare: bien plus, ils y ont contribue et continuent encore a le faire dans la mesure de leurs moyens; et certainement personne en Russie ne voudrait leur contester ce merite. Pourquoi donc leur preter aux yeux de l'etranger des idees autres que les leurs? Et pourquoi affecter devant l'Europe une desunion qui, heureusement, n'existe pas dans la realite?
Les preuves d'equite que vous avez toujours donnees a l'egard de notre pays, le soin que vous mettez a faire connaНtre a l'Europe l'entiere verite sur la Russie, me sont des garants, Monsieur, que vous accueillerez dans vos colonnes une reclamation dictee uniquement par l'amour de la justice et etrangere a tout esprit ou toute preoccupation de coterie. Veuillez en recevoir mes remercНments d'avance et agreer, etc.
I. Tourgueneff